Fragments de Journal
1955. Dans l'obscure église del Carmine m'était révélé Masaccio. Une passion qui décida de mon
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Je soupçonnais l'imposture de la nouveauté.
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itinéraire. Deux ans plus tard, Scuola della Porta Romana. En vain j'interroge. Étudier la fresque,
la touche des Anciens : On sourit, on hausse les épaules.
Livrée à moi-même, j'hésite. Avec Kokoschka,
tentation de la couleur. La forme en état d'alerte me convient.
Mais la rencontre de deux peintres, G. Wartofsky et C. Rutemberg, devait
me détourner du rouge que parfois d'un regard envieux, je
dérobais, seulement pour mémoire, à un Titien,
à un Latour, à la Laura de Giorgione qui exigea ce
voyage à Vienne et la présence du gardien derrière moi,
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jour après jour plus méfiant, ne comprenant pas mon attention fascinée pour la grande,
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mystérieuse oreille cramoisie. Renoncer à la couleur. Je découvrais l'équivalence
des tons. Le gris substitué
au rouge, l'intensité devient une question
de rapport. Morandi - le maître incontesté
de la nuance - m'ouvrait le regard sur de
nouveaux parcours, si contraires à la
couleur du moment. Le temps de cuisson
était à découvrir. L'impersonnel s'imposait,
les plus grands artistes me semblaient
anonymes.
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Certes la souffrance en tout temps fut bavarde, l'enfer inspira les plus grands pinceaux de l'histoire. Mais aussi pourquoi ne pas l'exprimer par de quelconques objets ?
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Mystère des lieux inhabités : cimenteries, cylindres des gazomètres, usines : gigantesques natures mortes.
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Qui décèle dans l'oeuf
les forces telluriques
devine
le secret,
la quintessence de l'explosion.
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Pourquoi ces placides baigneuses quand tout en moi réclamait la couleur, la violence des formes ? Cette apparence de calme dissimulait mon cri, donnait un nouveau sens à la révolte qui m'habitait.
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Seveso
Un avenir
où se préparaient
d’étranges, de monstrueuses
fornications
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La Fille de Georges
ne reconnut plus
son corps de baigneuse.
La tristesse, l’acharnement furieux contre ce démantèlement
de membres,
cette impossibilité
d'être
l'exhibe, la malmène
aux yeux de
tous
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Refus de désavouer le corps, le visage, à l'ère du nucléaire où l'homme n'est qu'accessoire.
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né de l'utérus d'acier...
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Ecce homo
Voici le robot !
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Avec un détail de La victoire d’Heraclius sur Chosroes de Piero
della Francesca, avec les anges de l'Apocalypse de Signorelli
- anges Robots exterminateurs - je vis deux expressions préfigurant
le massacre impersonnel des guerres occidentales. Coude tel un
boulon. Le maître d'Orvieto répondait à ma question du moment :
Interférence du corps et de la machine, chaque pièce correspondant
à un organe. Ainsi m’apparurent Les Officiels et Le Grand Bluff de
la Guerre.
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Le «noir » troua la toile en diverses occasions.
Néanmoins, bien plus qu'une couleur il est un vécu, une dimension, une connaissance dévoilée avec le temps.
Je pense au Titien, je pense à Goya et je pense à Rembrandt.
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Une fascination pour le martyre et l'héroïsme suicidaire avait faussé l'idée même de la révolte.
Douleur, dénuement allongent leurs cortèges vers d’innommables solitudes,
toute fureur rendue impossible sur les traits usés des précoces vieillards.
Le grand Christ de Grünewald se multipliait, d'autres veillaient à l'extermination.
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L’événement n'est que spectacle.
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Témoigner...
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Nous les voyons
alors fermer les
yeux.
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L'artiste ne doit plus être que le bouffon chargé de les divertir.
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Portes fermées, dans l'incommunicable, dans le froid.
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Seul le regard affûté par le temps excède l'angoisse de l'image, la reconnaît pour piège, une manière irresponsable de contempler l'histoire.
À l'instant, l'écoute et le voir, coloration musicale tels de vibrants, subtils glacis me révèlent la lumière. Schütz, Les sept paroles du Christ, larme sur la paupière rougie de la vierge d'une petite toile de Van der Goes.
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Hier, déjà, des Leçons de ténèbres de Couperin, une impression, une vision s'élabora : une femme de ses bras maigres repoussait un massacre. L'argument m'apparut par delà l'image, ainsi qu'une longue, patiente méditation picturale.
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A la frontière du "je",
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un pas,
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et l'autre est là, de toute sa différence.
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